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Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/13

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Feuilleton du COURRIER DE SION
— 7

— Que signifie cette phrase stupide, ce lieu commun ? se demandait le chevalier. Un mot de passe ? Peut-être. Mais je n’aime pas ça.

Et chaque fois qu’un étranger se représentait devant lui avec ces paroles aux lèvres, la cravache menaçante sifflait et mettait en fuite l’importun.

Entre temps, notre chevalier protégeait M. Corbier, l’accompagnant dans ses promenades, le reconduisant chez lui, veillant sur lui à toute heure du jour.

— Si un homme a l’audace de toucher à un de vos cheveux, avait-il dit, je le pulvérise.

Et, de fait, depuis qu’il était sous la protection inlassable du chevalier, M. Corbier n’avait pas couru le moindre danger. La blessure de son bras ne lui avait pas encore permis de se remettre au travail et il ne sortait que pour se promener.

Un jour que le chevalier d’Arsac sortait de l’hôtel de Provence et tandis que la tenancière le suivait d’un regard admiratif, murmurant : « Quel fringant et admirable cavalier ! » un étranger portant une longue barbe noire pénétra dans l’établissement. Il avisa un garçon :

— J’ai quelques renseignements à vous demander. Servez-moi une chopine de blanc.

Le garçon servit la consommation.

— Pouvez-vous me fournir en quelques mots des renseignements sur le chevalier d’Arsac qui est descendu dans cet hôtel ?

— C’est un Gascon. Vingt-cinq ans. Il est comte. A voyagé dans le Nouveau-Monde. A cherché fortune. Ne l’a pas trouvée.

— C’est tout ?

— Tout ce que je sais.

— Personne ne pourrait compléter ces renseignements ?

— Oui, l’homme qui l’accompagne et qu’il appelle son domestique.

— Est-il ici ?

— Oui.

— Allez le chercher. Je voudrais lui parler.

Quelques instants après, un homme d’une cinquantaine d’années, replet, aux yeux fureteurs, entra dans l’établissement, conduit par le garçon.

— Vous êtes le domestique de M. le chevalier d’Arsac ? demanda l’homme mystérieux.

— Son domestique ? s’écria le nouvel arrivant. Non, monsieur, j’accompagne M. le chevalier, il est vrai, et il m’appelle son domestique, mais je suis, en réalité, son créancier : M. le chevalier d’Arsac me doit à l’heure actuelle cent trente et un mille neuf cent soixante treize francs trente-cinq centimes. J’ai le compte sur moi, monsieur.

— Voulez-vous me faire l’honneur d’accepter un verre ? dit l’inconnu.

— Très volontiers, monsieur.

Les deux hommes s’installèrent.

— Vous êtes donc son créancier, reprit l’inconnu ?

— Oui, monsieur, je me nomme M. Poiroteau.

— Poiroteau ?

— Poiroteau ?

— Oui, monsieur, César Poiroteau, pour vous servir.

L’inconnu « cuisina » habilement le naïf M. Poiroteau qui lui fournit sur le chevalier d’Arsac les plus amples renseignements. Nul ne peut être mieux renseigné qu’un créancier.

Il apprit ainsi que le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac de Savignac avait vu le jour à Meilhan, dans un vieux château dont les murs baignaient dans la Garonne, qu’il prétendait descendre en ligne directe du chevalier Bayard — détail fort secondaire, du reste — et que son père en mourant lui avait légué cent dix mille francs de dettes — détail