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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Le 24 juin 1887, le comte Georges de Beaulieu mourut, empoisonné par une main inconnue, dans son château. Le crime resta ignoré et impuni. Le poison employé par les meurtriers tuait lentement, affaiblissant peu à peu l’organisme de la victime, le conduisant sûrement à la tombe. Cette constatation résulte de l’aveu même du complice des assassins.

Peu après la mort du comte de Beaulieu, son fils unique, Louis de Beaulieu, alors âgé de 4 ans, tomba gravement malade. Le même poison employé pour tuer le père, commençait son œuvre sur l’enfant. Ce fut alors qu’un fidèle serviteur du feu comte, Jules Bréhat, surprit par hasard une conversation secrète des meurtriers et de leur complice : il acquit ainsi la certitude que le comte de Beaulieu avait été assassiné et que son unique héritier était menacé.

Il eut d’abord d’intention de les dénoncer : mais les assassins occupaient une situation si élevée qu’il craignit de ne point posséder de preuves suffisantes pour les mettre hors d’état de nuire.

Il prit une autre décision : une nuit, il enleva le jeune comte Louis de Beaulieu et le confia à son frère Paul Bréhat, habitant Carmeaux, dans le Tarn, en lui recommandant de garder le secret le plus absolu. Il rentra au château ; le lendemain, il disparut sans que l’on sût s’il avait été tué ou s’il avait fui.

L’enfant grandit, ignorant son origine. Paul Bréhat, fidèle à sa promesse, s’était tu. Ce ne fut qu’au moment de sa mort que cet homme révéla au jeune comte le secret de sa naissance. À partir de ce moment, Louis de Beaulieu tenta de reprendre ses droits et ses titres. Il se présenta à l’hôtel qu’occupait sa mère la comtesse de Beaulieu, née baronne de Gramat, qui pleurait la mort de son époux et la disparition de son fils.

Jules Bréhat craignant, que cette mère ne s’opposât à l’enlèvement de l’enfant et ne mît en doute les révélations qu’il eût pu lui faire ne lui avait pas fait part de son projet. Vous comprendrez la raison de ce silence lorsque vous connaîtrez le nom des assassins.

Louis de Beaulieu fut reçu par un de ses oncles, le baron de Gramat, qui l’accusa d’imposture et le fit chasser par ses valets. Mais le jeune homme ne désespéra pas. À plusieurs reprises, il se présenta à l’hôtel de sa mère. Ce fut en vain.

Il s’adressa à la Sûreté ; mais ses prétentions ne furent point prises en considération. Enfin, il fit appel à la Haute-Cour Vehmique. Nous fîmes des recherches. Nous parvînmes à découvrir le complice des assassins, le majordome Bastien Génis et à lui arracher l’aveu de son crime. Il déclara avoir été soudoyé par Jérôme et Victor de Gramat, pour faire périr, par le poison, le comte Georges de Beaulieu et son fils unique Louis.

Ce double crime accompli, les meurtriers espéraient ainsi devenir, durant la vie de leur sœur, les gérants de l’immense fortune du comte de Beaulieu, et, à sa mort, les héritiers. Vous comprendrez dès lors la raison du silence de Jules Bréhat. Ce serviteur pouvait-il porter une accusation contre les barons de Gramat devant leur sœur ! La comtesse de Beaulieu, qui avait dans ses frères une confiance sans borne, aurait-elle ajouté foi à la déclaration d’un valet ?

À ce moment on entendit des gémissements étouffés et plusieurs hommes se précipitèrent vers la comtesse de Beaulieu qui s’évanouissait. Quand elle eut repris ses sens, l’assesseur continua sa lecture.