Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
Feuilleton du COURRIER DE SION
— 29

Et le prêtre tendit au comte Louis une enveloppe scellée aux armes des Beaulieu.

Le jeune homme l’ouvrit, en tira une longue lettre et, avec la permission de ses hôtes, lut à haute voix l’étrange récit suivant :


« Mon cher fils,

« Je ne sais quand cette lettre te parviendra. Seras-tu encore un enfant. Seras-tu un homme, Cette lettre, je la confie à l’homme le plus loyal que j’aie connu, au curé Marlier. De graves dangers me menacent et j’ai tout lieu de craindre que ceux qui me touchent de près ou de loin ne soient frappés par des ennemis acharnés et tenaces qui m’entourent. Mais un de mes fidèles serviteurs veillera sur toi et te sauvera.

« Je ne puis dénoncer à la justice mes ennemis sans entacher à jamais l’honneur de notre nom ! Noblesse oblige. Je dois me taire et supporter plutôt la mort que le déshonneur. Jusqu’à mon dernier souffle, j’essayerai de sauver ma vie, de préserver la tienne et de te conserver intacte la fortune qui te reviendra après ma mort.

« Il faut bien que je te l’avoue, cette fortune était convoitée depuis longtemps par mes ennemis. Elle était la cause de leur haine. Or, ce patrimoine, je devais le défendre, « même après ma mort », afin qu’il fût remis entre tes mains à ta majorité. Mais il était à craindre que les criminels ne te fissent disparaître pour rester seuls héritiers. Il fallait donc que mes richesses restassent cachées jusqu’au moment où le danger qui te menace serait écarté.

» Pour atteindre son but, je résolus de frapper les coupables, dans l’ombre, comme ils cherchaient à nous frapper, et sans faire intervenir la justice humaine. Je conçus un projet fort simple. Que fait-on pour prendre la souris qui s’insinue dans l’ombre ? On place une souricière dans laquelle on place un appât, ici, c’était ma fortune. Il suffisait d’imaginer un piège adroitement dissimulé. Je l’imaginai.

« Pendant la guerre de Vendée, les richesses de la famille des Beaulieu furent cachées dans les souterrains de notre château. Mes ennemis ne l’ignoraient pas. Mais cette fortune, je la fis transporter secrètement en lieu sûr, et je confiai mon testament au notaire Laurent, à Rennes, qui reçut l’ordre de ne l’ouvrir qu’au moment où tu te présenterais devant lui. Puis dans le même souterrain où les trésors avaient été cachés, je fis tendre, par des ouvriers étrangers, le piège où mes ennemis se feraient prendre tôt ou tard. Un bloc de granit devait s’abattre sur eux au moment où ils voudraient s’emparer du fruit de leur crime. Mais il fallait les attirer d’une façon adroite. Sur une enveloppe revêtue de la mention : « Mes dernières volontés », j’expliquais que ma fortune était cachée à l’endroit qu’indiquait un papier revêtu de signes conventionnels. Ces signes, je savais mes ennemis à même de les déchiffrer ; comme toutes les personnes alliées à notre famille, ils en possédaient la clef.

» Certes, j’eusse pu, dans mon écrit, indiquer l’endroit exact où devaient se trouver les trésors, mais je savais mes ennemis aussi méfiants qu’habiles. Le piège eût été trop visible : il fallait le dissimuler. Le papier mystérieux réalisait cette condition.

» Le piège tendu, il s’agissait de trouver un moyen de prévenir mon notaire que le moment était venu d’ouvrir le testament que je lui avais confié. Par un mécanisme caché, le bloc de pierre qui frapperait l’assassin devait