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déclencher un ressort : ce ressort communiquait à une statue de saint Michel que j’avais placée dans la chapelle de mon château, chapelle qui se trouvait juste au-dessus des souterrains où était cachée la souricière.

» Grâce à ce ressort, dès que le mur de pierre frapperait le coupable, le bras de saint Michel s’abaisserait. Sur le socle de la statue était tracée cette inscription :


Lorsque de saint Michel la lance tombera
Justice se fera !


» Dès lors, je priai le bon curé Marlier, en qui j’avais une confiance sans borne, d’attendre que la lance de l’archange s’abaissât pour te remettre cette lettre et pour avertir mon notaire que tu pouvais disposer de la fortune de ton père. En agissant ainsi, j’espère arrêter le poignard qui te menace. En effet, si mes ennemis cachés sont bien les hommes que je crois, tu seras pour eux un otage précieux, le gage d’une fortune future.

« Tant que l’héritage auquel tu as droit ne sera pas en ta possession, ils attendront. Ce n’est seulement que si ma fortune venait à t’échoir avant la mort des assassins que ta vie serait en danger ; mais grâce à mon stratagème, ce fait ne peut se produire. Si je dois mourir, je disparaîtrai confiant dans l’avenir, car j’ai la conviction de te protéger, même après ma mort, sans craindre les trahisons ou les faiblesses humaines, puisque j’agis d’une façon toute « mécanique » si j’ose m’exprimer ainsi. Oui, ce mécanisme est le serviteur de ma volonté posthume, c’est le prolongement de moi-même, c’est le châtiment.

« Je te devais ces explications, mon cher fils. Elles seront nécessaires un jour pour t’expliquer ma disparition et mon silence. Le danger inconnu qui me menace dans l’ombre persiste. Le curé Marlier te donnera l’adresse du notaire Laurent en te remettant cette lettre ; s’il venait à disparaître, une autre personne qui possède une copie de cette lettre agira à sa place.

« Si un jour tu apprends le crime dont certains des nôtres se rendirent coupables, je te conjure de ne le révéler à personne, pour l’honneur même de notre nom : c’est ma volonté suprême.

« Ton père qui t’aime,
Georges, comte de Beaulieu. »


Louis de Beaulieu se tut. Un silence solennel plana dans la chambre. Enfin, le jeune homme le rompit pour dire au chevalier d’Arsac et au curé Marlier :

— Vous connaissez tous deux, vous qui êtes mes meilleurs amis, une partie du secret dont parle mon regretté père, mort empoisonné. Vous savez que mes oncles, les barons de Gramat et le majordome Bastien Génis furent soupçonnés d’être les auteurs de ce meurtre. Les barons de Gramat sont morts. Respectons leur mémoire. Bastien Génis avait disparu. Tout fait présumer que c’est lui qui a été frappé dans l’ombre du souterrain. Mes chers amis, je vous conjure de garder le plus profond secret sur cette triste affaire, je vous le demande au nom de mon père mort, au nom d’un fils qui veut respecter la mémoire de celui qui préféra mourir que de laisser ternir son nom.

Le chevalier d’Arsac et le curé Marlier assurèrent Louis de Beaulieu qu’il pouvait compter sur leur discrétion la plus absolue.

Deux jours après, le jeune comte se rendit à l’étude du notaire Laurent qui ouvrit devant lui le testament et le mit en possession de son héritage.

À partir de cette époque, il ne fut plus question au château de Beaulieu des apparitions que suscitait l’habile Bastien Génis qui avait mis à profit les traditions locales relatives à la Femme sans Tête et au Moine Noir, dans le but évident d’éloigner ainsi les hôtes du manoir et d’avoir ainsi le champ libre pour se livrer à ses recherches clandestines.

Le mort était vengé.