Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/11

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et content avec moins de choses. Il s’en suit que l’homme du midi, avec une fortune égale, est plus riche que l’autre. Il en résulte encore qu’en donnant moins au besoin réel, il peut donner plus au besoin factice. L’homme du midi a aussi, sans que je veuille l’attribuer exclusivement à cette cause, l’imagination plus active ; il est plus amateur de jouissances sociales ou intellectuelles ; il boit moins et chante davantage ; au lieu d’aller au cabaret, il va au spectacle. Il est plus agissant, plus féconds en expédiens ; plutôt que l’autre il s’exposera à un danger inutile, mais plutôt aussi il se retirera d’un péril effectif. Faites partir du même point un Russe et un Provençal[1], il est probable que ce dernier sera capitaliste avant l’autre, et pourtant sans que le premier ait dépensé moins que le second ; seulement ils auront dépensé autrement, celui-là d’une manière qui l’abrutit, celui-ci d’une manière qui développe son imagination en élargissant le cercle de ses désirs et par conséquent de ses idées. Le Russe ne voudra que beaucoup d’une chose, le Provençal désirera une portion de dix ; ces vingt désirs lui donneront vingt pensées, lesquelles, s’il a l’esprit d’ordre, seront moins des sources de misère que des voies de profit.

Nous nous sommes peut-être trop étendu sur cette nécessité des besoins et sur la différence des besoins naturels et des besoins créés, c’est à dire de ceux qui tiennent à la matière ou de ceux de l’imagination ; mais cette digression était nécessaire pour l’intelligence de ce qui va suivre. Maintenant, sans nous y arrêter davantage, nous toucherons le fond du sujet, en examinant

  1. Nous parlons ici de l’homme du peuple, de celui qui touche encore à l’état de nature. Quant aux individus des classes instruites, ils se ressemblent partout. L’éducation modifie les nuances, surtout quand cette éducation est la même.