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peuple de la terre qui vit de moins. Le climat certainement n’est pas ici sans influence, et l’Arabe mangerait probablement plus en Angleterre qu’en Arabie ; mais pourtant l’habitude et l’opinion entrent pour beaucoup dans leur régime. Un Anglais croit qu’il ne peut se bien porter qu’en mangeant le plus possible, un Arabe qu’en mangeant juste ce qu’il faut pour ne pas mourir d’inanition. L’Anglais se fait une affaire de bien manger, l’Arabe n’y voit que la satisfaction d’un besoin. Il résulte de cette différence d’hygiène ou de volonté que l’Arabe vivra dans l’aisance où l’autre mourra de faim.

On doit sentir cependant que la richesse ou la pauvreté qui résulte de la sobriété ou du défaut opposé, est relative et individuelle. Si l’homme sobre est paresseux, il ne sera pas plus riche que l’homme débauché, si ce dernier travaille en proportion de sa dépense. Pour s’enrichir par la sobriété, il faut y joindre l’activité et l’industrie.

La misère des Irlandais tient à des circonstances qui ont été souvent présentées et que nous ne rappellerons pas ici. Leur caractère, je crois, peut ajouter, autant que la fausse politique des gouvernans, à l’affaissement où ils se trouvent. Ensuite l’éloignement des grands propriétaires qui dépensent ailleurs l’aisance qu’ils tirent du sol et de la sueur des habitans, met ces derniers dans une position peut-être plus fâcheuse que n’était celle du serf ou que n’est encore celle de l’esclave qu’un maître dont il est l’avoir et le revenu a intérêt à nourrir.

La Suisse, je parle ici de celle des voyageurs, présente sinon beaucoup de pauvres et de fainéans, du moins beaucoup de gens qui vivent d’autre chose que d’un travail régulier et qui en vivent mal ; mais cela encore n’annonce pas une misère véritable. Si les étrangers n’allaient pas en Suisse, personne n’y serait désœuvré ; c’est en détournant les habitans de leurs occupations ordinaires pour être guides, cicérones, serviteurs du