Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/47

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peut pas se faire. Et cependant l’évidence est là. Si les soldats ne s’associaient pas pour leurs repas, pourraient-ils vivre avec leur faible paie et leur plus modique ration ? Les soldats, dira-t-on, ne le font que parce que la règle et la discipline les y contraignent. Qu’importe ; s’ils retirent de cette discipline, de cette règle, un bien-être notable, pourquoi ne seraient-elles pas appliquées aux établissemens publics et même particuliers ?

Si les ouvriers étaient nourris dans les manufactures, comme le sont souvent les journaliers chez les maîtres, peut-être seraient-ils moins malheureux, peut-être même le chef de fabrique y trouverait-il bénéfice. Entrés le matin dans les ateliers, les ouvriers n’en pourraient sortir que le soir et le maître se chargerait de les nourrir, ou bien, chaque ouvrier, comme chaque soldat, mettrait une somme, 15 ou 20 centimes, pour la chaudière du jour ; en donnant le double ou le triple, sa femme et ses enfans pourraient être appelés à partager le repas ; de cet arrangement il lui resterait probablement quelque chose à la fin du mois.

On a avancé que les pays les plus manufacturiers étaient aussi ceux où le peuple semblait le plus pauvre, et à l’appui, on a présenté toutes les villes de fabrique d’Angleterre, de France, de Belgique. À Gand, par exemple, à l’époque même de sa prospérité, sur 34, 000 habitans il y avait 17, 000 pauvres. Cela vient-il de la fabrique ? non, car si l’ouvrier y gagne autant qu’il gagnerait à aller à la journée à bécher la terre ou à travailler chez lui, il n’y a pas de raison pour qu’il soit plus misérable. Et pourtant il l’est ; et le motif, je crois, c’est que l’ouvrier des fabriques est en général plus ignorant, moins industrieux, plus dépensier que le journalier. Celui-ci, changeant presque chaque jour de position ou de lieu de travail, de quartier, de maison, étant en contact avec d’autres états, d’autres hommes, a plus d’expérience de la société et par suite plus d’énergie contre ses chances et