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ne font pas la vie, ce sont eux qui maintiennent son action. Si l’homme n’avait pas de besoins, ou s’ils étaient satisfaits sans fatigue et toujours avec certitude, l’homme n’agirait pas ; plongé dans une torpeur continuelle, il ne penserait même point. C’est la nécessité qui éveille la douleur ; c’est la douleur qui produit la pensée et la pensée qui amène la volonté. De la volonté naît l’œuvre. L’obligation d’obtenir sa nourriture est ainsi la cause première de l’activité des êtres et le mobile des trois quarts des actes de leur vie.

Mais la faim seule en les éveillant suffirait-elle pour les tenir éveillés ? Non ; sans le souvenir d’où surgit la prévoyance, aussitôt que le besoin cesserait, l’homme s’assoupirait de nouveau, et comme certains animaux du dernier ordre, il demeurerait pendant des jours et des mois, semblable à une masse insensible, dans un état d’inertie complète. Il faut donc qu’il y ait une cause acerbe qui le force à agir, même lorsqu’il est rassasié, et que, la faim étant calmée, il reste une crainte, qu’il naisse d’autres désirs, enfin qu’une nouvelle douleur s’éveille. C’est ce qui a lieu.

La misère ne consiste pas seulement dans le manque de ce qu’il faut pour vivre, elle est aussi dans l’absence de ce qu’il faut pour être heureux ; et comme chacun l’est à sa manière, comme le désir n’a pas plus de bornes que l’imagination, et l’imagination pas plus que l’espace, il est assez difficile de dire où commence et où finit la misère.

Nous ferons observer qu’il ne faut pas toujours la confondre avec la pauvreté ; c’est chose sans doute fort ressemblante mais non entièrement identique. La pauvreté est un accident ; la misère est une position. On subit la pauvreté, on crée la misère, qui toujours est la suite d’une volonté ou plutôt d’un défaut de volonté et de conduite, comme nous l’expliquerons bientôt.