Page:Boucher de Perthes - De la misère.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
( 4 )

C’est la pauvreté qui précède la misère. La misère est la pauvreté établie, organisée, reconnue, adoptée. On cache sa pauvreté, on étale sa misère. Le pauvre se relève souvent et devient riche. Celui qui est arrivé à la misère, non-seulement y reste, mais il la communique et l’étend. Voilà pourquoi il y a beaucoup plus de misérables que de pauvres. Ce que je viens de dire de la misère individuelle peut s’appliquer à celles des peuples.

Si nous voulions analyser la misère, nous dirions qu’il y en a autant que de caractères, que de besoins et même que de caprices. Les fantaisies la produisent comme la nécessité, et la misère réelle n’est pas la plus poignante, la plus maligne, la plus difficile à guérir. On est toujours pauvre quand on veut ce qu’on n’a pas ; on est toujours misérable quand on ne peut l’avoir. Il est un terme où le besoin s’arrête, mais il n’en est pas pour la fantaisie : rien ne peut en limiter l’avidité ou les écarts. Tel peuple, pour avoir une robe, vend son bouclier et prend sur sa substance la plume de son chapeau.

Les besoins créées peuvent ainsi produire la misère comme les besoins effectifs ; ils peuvent rendre aussi pauvre, peut-être plus. La misère est donc l’absence de ce qui est indispensable ou de ce qui tient aux besoins de chacun. Mais la nature est la mesure de ces besoins ou de ces caprices varient selon le lieu, le temps est l’individu. Il en résulte que la misère est relative, et que deux hommes dans une position semblable ne sont pas également misérables, ou même que l’un peut être pauvre et l’autre ne l’être pas.

Nous examinerons ailleurs cette question de la misère comparative ; nous tâcherons d’en peser les degrés et d’en faire ressortir les nuances, en distinguant ce qui appartient à la réalité ou à l’imagination, au préjugé ou à la position. Mai si nous considérons ici les besoins