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part pour le jour où il ne la gagnera plus ; car, encore une fois, ce n’est une loi pour qui que ce soit de la gagner pour autrui, ce n’est pas même un instinct ; l’animal ne porte un morceau de sa proie qu’à sa femelle et à ses petits, jamais à son voisin.

On sentira que je n’envisage ici la question que sous ses rapport généraux, ou si l’on veut sous son aspect politique et matériel. Il est un sentiment, l’un des plus nobles de la nature, celui de la pitié, qui nous indique de secourir autrui, et la religion nous en fait un devoir. Mais sans nier le mérite de la bienfaisance, quand elle est réelle ou appliquée avec discernement, ne pouvons nous pas demander si cette individualité brute, cette démarcation de l’état primitif, cette probité égoïste qui ne prend rien à personne mais aussi ne lui donne rien, n’est pas de fait moins préjudiciable à l’ensemble et au malheureux lui-même que la générosité qui donne mal, ou ce qui est pis, qui donne pour encourager au mal, car c’est l’encourager que d’aider à transgresser la loi ; et si l’humanité nous dit de faire l’aumône, l’équité nous défend de la demander quand nous pouvons travailler. Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, a dit l’ange à l’homme ; et il a bien dit. Si la nécessité nous force au travail ; le travail est le père de l’intelligence et de l’industrie. Là où l’on ne laisse rien prendre à l’oisif et où l’on ne donne point au mendiant, il n’y a bientôt plus que des gens actifs et occupés. Quand un individu, quel qu’il soit, ne voit que lui qui s’intéresse à lui, quand il faut sous peine de mourir, qu’il soit prévoyant et laborieux, il le deviendra, n’en doutez pas.

Ce malheureux qui ne connaît aucun métier et qui n’en veut pas apprendre, qui a vaqué toute sa vie sans rien faire, mettez-le dans un pays où tout le monde travaille, où, dès qu’il tend la main, chacun s’aperçoit que cette main est valide, la faim venue il s’en apercevra lui-même, il avisera au moyen d’utiliser cette main.