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LA CASTE ET LA RÉVOLUTION BOUDDHIQUE

sens aucune doctrine n’a mieux justifié l’abstentionnisme social.

Dans ce renoncement à l’effort terrestre faut-il voir seulement une conséquence normale des principes autour desquels gravite la spéculation hindoue ? Le fondateur du personnalisme, Charles Renouvier, montre comment le pessimisme est le fruit éternel et toujours renaissant des philosophies de l’émanation : elles enlèvent à l’individualité, en même temps que tout motif d’agir par elle-même sur le monde, toute réalité véritable[1]. Mais il est permis de penser que si la spéculation en Inde a pris ce tour, si elle a préféré, par une sorte d’instinct qui ne s’est jamais démenti, les doctrines justificatrices du détachement et de l’inaction, la pression du milieu, non seulement naturel, mais social, y est pour quelque chose. N’a-t-on pas justement répété qu’en Inde la nature et la société conspirent pour accabler l’individu ? Représentez-vous en particulier dans quel cercle étroit d’obligations de toutes sortes la caste l’enferme et l’immobilise pour la vie, et vous comprendrez, disait Taine[2], « le désir de la délivrance finale qui, comme un cri passionné, continu, sort de ce puits de désolation ». En ce sens le régime des castes lui-même, parce qu’il a fait perdre à l’Inde le sens de l’espoir actif, serait l’auteur responsable de l’inertie dont le bouddhisme, tout égalitaires que soient ses formules, fait preuve devant les réformes sociales.

Au surplus, que l’idée même de ces réformes dût malaisément lui venir, qu’il ne dût pas en sentir le besoin, c’est ce qui s’expliquerait non plus seulement par son dégoût de la vie mais par sa croyance, qu’il partage avec

  1. Philos. analytique de l’Histoire, II, p. 143 sqq.
  2. Nouveaux Essais, p. 331.