Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

La doctrine de l'ahimsâ le tient éloigné de la charrue : en éventrant la terre, il s'exposerait à tuer des êtres vivants. Et nous avons constaté, sans doute, que beaucoup de ces prescriptions restent théoriques : la nécessité fait une loi, à beaucoup de Brahmanes, de fouler aux pieds la loi religieuse. Les codes mêmes leur permettent dans les cas de « détresse » l'exercice de l'agriculture et de certains commerces. Dans l'ensemble, ils n'en restent pas moins une leisure class, que sa noblesse attache aux activités d'ordre spirituel, aux sacrifices, aux prières, à l'étude.

Mais ce qui est vrai de la race brahmanique ne serait-il pas vrai, à un degré inégal, d'un certain nombre d'autres races ? À l'instar du Brahmane, celles-ci ne se piquent-elles pas, pour prouver leur souci de pureté, de ne pouvoir toucher telle catégorie d'êtres ou d'objets ? Si on pouvait découvrir les tabous qui sont l'origine de ces répugnances, on tiendrait peut-être la raison profonde de la spécialisation de ces clans qui devaient s'immobiliser en autant de castes : le jeu de ces incompatibilités originelles nous expliquerait la vocation des groupes, et pourquoi telles professions se trouvent interdites aux uns et réservées ou imposées aux autres.

Mais alors même que ce détail nous échappe, ce que nous apercevons clairement, par-dessus les raisons de spécialisation propre à chaque classe, ce sont les grandes lignes du système hiérarchique qui ordonne malgré tout ces groupes fermés, et fait régner un parallélisme général entre la distinction des races, nobles ou ignobles, et la distinction des métiers, purs ou impurs.

Et, à vrai dire, il est parfois difficile de discerner laquelle des deux, de la race ou de la profession, est le principe premier des respects et des mépris. Sous quelque forme qu'il faille se représenter la descente des Aryens dans l'Inde – succession d'invasions brusques et générales ou suite de colonisations partielles – on sait quelle espèce d'horreur les indigènes inspirèrent aux arrivants.