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ESSENCE ET RÉALITÉ DU RÉGIME DES CASTES

séances donnent lieu à des contestations fréquentes. Mais ces incertitudes de fait laissent le principe sauf ; ces contestations mêmes et les luttes qu’elles entraînent prouvent à quel point les différents membres de la société hindoue sont pénétrés de l’idée qu’elle doit être organisée hiérarchiquement.


Que ses éléments spécialisés non seulement se superposent, mais s’opposent, que la force qui anime tout le système du monde hindou soit une force de répulsion, qui maintient les corps séparés et pousse chacun d’eux à se replier sur lui-même, c’est ce qui frappe tous les observateurs.

On a souvent noté le dégoût que les Européens inspirent aux Hindous. Un voyageur remarque qu’un Brahmane avec lequel il avait lié connaissance lui rendait visite de très bon matin : c’est que le Brahmane préférait le voir avant l’heure du bain, afin de se purifier aisément des souillures qu’il aurait pu contracter. Un Hindou qui se respecte mourrait de soif plutôt que de boire dans un verre qui eût servi à un « Mleccha[1] » . Ce qui est remarquable, c’est que les Hindous semblent éprouver, à l’égard les uns des autres, quelque chose de cette même répugnance ; preuve qu’ils restent jusqu’à un certain point des étrangers les uns pour les autres. On eut beaucoup de peine à établir à Calcutta une canalisation d’eau : comment les gens de castes différentes pourraient-ils se servir

    Kshatriyas et observent les rites prescrits pour les castes militaires, mais le peuple les classe parmi les Banyias. Les Sunris enrichis luttent depuis longtemps pour obtenir d’être reconnus comme une caste pure. Mais seuls les prophètes dégradés de l’hindouisme flattent cette ambition. Ceux-là mêmes qui travaillent pour les Sunris, nous dit M. Risley, ne voudraient pas toucher leurs aliments. Un Tchandala perdrait sa caste s’il touchait le siège sur lequel un Sunri est assis. V. Risley, Tribes and Castes, II, p. 279. Cf. Jogendranàth Bhattacharya, op cit., p. 79, 109, 124, 138, 255 et dans l’article cité de Schlagintweit, p. 557, 566, 574.

  1. Cf. Jacquemont, op. cit., I, p. 157. Sonnerat, op. cit. I, p. 110. De Lanoye, l’Inde contemporaine, 1855, p. 128.