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INTRODUCTION

du même robinet ? Le contact des Parias inspire une véritable horreur. C’est pourquoi on les obligeait, comme leur nom l’indique, à porter des clochettes révélatrices de leur présence[1]. Sur la côte de Malabar, il y a encore des gens que l’on force à aller presque nus, de peur d’être touché par leurs vêtements flottants[2]. La crainte de « l’atmosphère impure » est, de tout temps, un des traits dominants de l’âme hindoue[3]. Les Jâtakas sont pleins d’anecdotes qui témoignent du dégoût qu’ont inspiré de tout temps le contact ou même la vue des races impures. Un Brahmane s’aperçoit qu’il a fait route avec un Tchandala : « Sois damné, oiseau de malheur ; ôte-toi de mon vent ! » Deux amies, la fille d’un gahapati et d’un purohita jouent aux portes de la ville. Surviennent deux frères Tchandalas, qu’elles aperçoivent. Elles se sauvent aussitôt et vont se laver les yeux[4].

Et sans doute toutes les races ne provoquent pas un dégoût pareil. Cependant, toute caste autre que la sienne, quelle qu’elle soit, est en un sens impure aux yeux de l’Hindou orthodoxe. Et ce sentiment de répulsion latente se manifestera clairement en certaines circonstances.

Par exemple, tel ne craindra pas d’être touché par un homme d’une autre caste qui refusera pourtant de manger avec lui. C’est par les aliments surtout que l’on craint d’être contaminé. Ils ne peuvent être par-

  1. Les missionnaires chrétiens, malgré la doctrine qu’ils cherchent à répandre, sont obligés de compter avec ces répugnances. P. Suau (l’Inde Tamoule, Oudin, 1901), raconte qu’en beaucoup d’endroits la nef de droite de chaque Église est réservée aux Parias : ils ne communient qu’après les autres castes. À Vadakenkoulam, village composé de Sanars et de Mondéliars, les hostilités mutuelles sont si vives qu’on a dû bâtir aux néophytes chrétiens une église à deux nefs, qui rayonnent hors d’un chœur commun.
  2. Schlagintweit, art. cit., p. 581. Les rapports de l’État de Gochin classent les castes impures d’après la distance à laquelle elles souillent celle-ci à 24 pas, celles-là à 36, d’autres à 48, d’autres à 64 (Cité par Vidal de la Blache, Annales de géographie, juillet 1906, p. 440).
  3. R. Fick, Die Sociale Gliederung im Nord. Indien, p. 25.
  4. Ibid., p. 26, 28.