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porter le pollen au pistil, que sur les caprices du vent. Ce sont les insectes qui se chargent de cet office. Les fleurs ont donc tout avantage à les attirer, à les faire pénétrer jusqu’à leurs pistils et à leurs étamines. C’est à quoi leur servent leurs couleurs éclatantes et leurs formes élégantes : les plus belles sont aussi les mieux faites pour appeler et pour retenir les indispensables intermédiaires. En ce sens, on peut dire avec M. Le Dantec[1] que c’est l’amour du papillon pour la rose qui a développé la beauté de la rose et son parfum.

Mais c’est dans le monde animal surtout que se fera sentir l’influence de l’amour. Car ici les sexes sont indépendants, et, qui plus est, leurs représentants se trouvent le plus souvent, dans chaque espèce, en nombre inégal : il y a excédent de mâles[2]. La reproduction rend donc ici nécessaire non seulement un rapprochement d’individus séparés, mais un choix entre individus différents, une préférence. De même que de la trop grande quantité des vivants en général naît la lutte pour l’existence entraînant la sélection naturelle, de même du nombre d’ordinaire excédant des mâles va naître une nouvelle lutte, la lutte pour l’amour, entraînant la sélection sexuelle.

Et à vrai dire cette lutte affecte parfois la forme la plus brutale, la forme directe et active de la lutte pour la vie. Les concurrents se ruent l’un contre l’autre. Ainsi font les cerfs, les taureaux et les étalons sauvages. Les blessures que portent presque tous les cadavres mâles d’écureuils, de perdrix indiennes ou de cachalots, les saumons qu’on trouve morts au bord des étangs prouvent l’égal acharnement, chez les espèces les plus variées, de ces « combats de noces[3] ». Ils expliquent la parure guerrière de la plupart des mâles, le développement de l’armement défensif ou offensif, des cri-

  1. Revue de Paris, art. cité, p. 622.
  2. Darwin, Descendance, I, p. 191. Weismann, Vorträge, I, p. 233.
  3. Darwin, Descendance, II, p. 259-261.