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cue aujourd’hui, s’il faut en croire M. Cuénot[1], que « la sélection est un processus purement conservateur et non édificateur ; elle se borne à supprimer les individus mal venus et les monstres, et ceux qui présentent des variations par trop défavorables, les albinos par exemple : elle maintient les espèces dans leur état moyen, mais elle est incapable d’en créer de nouvelles ». Ainsi, bien loin qu’elle nous apparaisse désormais comme la seule force capable de provoquer la métamorphose des espèces, on pourrait soutenir que la sélection empêche les changements plutôt qu’elle ne les favorise : elle est occupée à maintenir le type moyen plus qu’à créer des types nouveaux.

Dans tous les cas, pour produire la transformation des espèces, la concurrence et la sélection n’apparaissent plus que comme « accélérateurs de l’évolution, comme adjuvants des causes premières ». Et ainsi se trouve-t-on amené, suivant les expression de M. Delage[2], à « abandonner la sélection naturelle, non pas comme facteur ayant son influence légitime dans la nature, mais comme cause principale de l’évolution progressive des organismes ».

Le rôle de la lutte pour la vie se trouve, si toutes ces réflexions sont exactes, singulièrement réduit. Et il nous est permis de conclure qu’elle n’a plus, aux yeux des naturalistes, le monopole des transformations et des perfectionnements. On lui trouve des collaboratrices, sinon des remplaçantes. On lui enlève le glaive et le sceptre. Ce n’est plus l’impératrice inflexible de la nature. C’est une ouvrière entre les autres, et dont on peut parfois se passer, et qui peut parfois se tromper — ni absolument infaillible, ni formellement indispensable[3].

  1. Art. cité, p. 267.
  2. Op. cit., p. 395.
  3. Non seulement les nouvelles théories biologiques restreignent ainsi, dans l’évolution, la part des méthodes brutales et fatales de la sélection,