Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une façon ou d’une autre, la lutte des tarifs enrayée, un monopole s’établit ? Et il est vrai, suivant la remarque de M. Tarde[1], que le monopole paraît « naître de la concurrence aussi inévitablement que la conquête résulte de la guerre ». Mais qui pourrait soutenir que la constitution de monopoles tend normalement à hausser le taux de la production et à abaisser le prix des objets ? Bien plutôt les nouveaux rois de l’industrie profiteront de leur situation pour retirer, en faisant la loi au marché, les plus forts revenus possibles de leurs capitaux. Ce sera du « collectivisme au profit d’un seul[2] ». Et l’on ne se sera sauvé de l’anarchie que pour tomber sous le despotisme.

D’ailleurs, indépendamment de la situation que notre organisation économique fait aux producteurs, celle qu’elle fait aux vendeurs n’entraîne-t-elle pas des déperditions indéniables ? Qu’on se représente le nombre excessif de ces « intermédiaires » et les procédés auxquels leur concurrence même les accule : la majoration des prix, et la falsification, quantitative et qualitative, des marchandises ne sont-elles pas les conséquences habituelles et comme normales de ce régime[3] ? On soutient qu’en matière d’achat la masse est bon juge, qu’elle choisira au mieux de ses intérêts entre les concurrents et leur imposera ce « règne du consommateur » qui est le plus rationnel des régimes économiques[4]. On ne voit pas qu’étant eux-mêmes isolés, divisés, insuffisamment organisés, les consommateurs restent le plus souvent à la merci de l’exploitation commerciale. Comment soutenir encore qu’un système qui laisse place à tant de gaspillages divers est le mieux fait pour satisfaire, par la multiplication

  1. Psych. éc., II, p. 77 (Paris, F. Alcan).
  2. C’est l’expression de M. Bourgeois au Congrès d’Éduc. soc.
  3. V. Gide, Coopér., p. 265 sqq. Tarde, Psych. éc., II, p. 76. Wagner, Grundl., II, p. 811.
  4. V. Beauregard, art. cité, p. 529 sqq.