Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/263

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et le raffinement le plus économiques des produits, à la multiplication et au raffinement inévitables des besoins humains ?

On dira peut-être que la libre concurrence, à quelques gaspillages qu’elle aboutisse ainsi, a du moins le mérite de surexciter toutes les énergies de l’humanité. Sans ses coups de fouet combien d’activités resteraient dormantes ! Combien d’aptitudes en friche ! Combien d’inventions dans les limbes !

Reste à savoir si l’excitant de la lutte possède en effet toutes les vertus qu’on lui prête, s’il est toujours aussi indispensable, et toujours aussi bienfaisant que paraît le croire le darwinisme social. Il faut se souvenir ici que, déjà sur le terrain biologique, la croyance aux vertus créatrices de la lutte paraît avoir beaucoup baissé. La sélection conserve, nous dit-on aujourd’hui, mais ne crée rien[1]. La loi du combat trie entre les variétés préexistantes, mais d’autres forces, dont le jeu est moins visible, ont constitué ces bornes diverses, et mystérieusement prépare les combinaisons de caractères destinées à survivre. C’est la variation, non la lutte, qui est le « facteur primaire » de l’évolution des espèces. Or dans le monde humain c’est à l’intelligence qu’appartient ce pouvoir de varier, d’innover, d’enfanter des combinaisons nouvelles. Ce sont les forces de l’intelligence, activités de synthèse, de coordination, d’alliance qui sont, pour l’évolution humaine, les mères dont parle Gœthe, génératrices inépuisables des formes. Et sans aucun doute, la puissance inventive et adaptive de l’intelligence des hommes est surexcitée par la perspective des résultats de leur action. Le désir, soufflant sur l’imagination, en fait jaillir plus loin les étincelles. Mais il n’est pas vrai que seul le désir du triomphe, du profit, du gain ait ce privilège. En fait, on l’a remarqué, pour nombre

  1. V. plus haut, p. 212.