Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/272

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à l’évolution. Ne semblent-elles pas spécialement préoccupées aujourd’hui de faire une plus large place à la « solidarité » ? C’est le mot qui passe et repasse dans toutes les discussions morales et sociales du temps présent. Essayons de dégager les constatations et les revendications qui se cachent derrière ce mot ; à quel progrès de la science et de la conscience sociale elles correspondent ; quels aspects de la réalité et de l’idéal elles mettent en lumière. Nous comprendrons peut-être en quel sens et pour quelles raisons les formules de justice sur lesquelles s’accordaient le libéralisme économique et le naturalisme devaient paraître insuffisantes à la démocratie.

Et d’abord, on aperçoit aisément, d’un simple coup d’œil jeté sur le mécanisme de la production dans nos sociétés, combien le programme qui prétend attribuer au travailleur le produit intégral de son travail serait difficile à réaliser. Le sens négatif de ce programme est clair. On comprend ce qu’il tend à détruire. Il vaut contre « les frelons », contre ceux à qui la richesse vient en dormant ou qui n’ont eu, pour la posséder, que « la peine de naître ». C’est contre ceux-là qu’on répète le cri de saint Paul : Qui non laborat nec manducet. Mais, s’il menace ainsi tous les « revenus sans-travail », est-ce à dire que ce principe ait une valeur positive, une vertu édificatrice, et qu’on en puisse déduire une organisation clé la société telle, que ce qui reviendrait en effet à chaque individu serait déterminé et mesuré par son travail propre ? Dans ce qu’on appelle le produit de son travail, ne faut-il pas reconnaître l’action de forces, matérielles ou immatérielles, qui dépassent singulièrement son effort personnel ? Ne faut-il pas distinguer la part de la nature, des instruments, de l’ordre social lui-même ?

Et en effet, ce n’est pas son produit tel quel que le travailleur réclame. Dès le moment où le travail s’est divisé pour le plus grand perfectionnement de la production, la vie ne se