Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/68

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ou quatre quintaux. D’ailleurs, si la conservation de certaines aptitudes dans certaines familles s’expliquait par un exercice ancestral, n’est-ce pas à la fin de la lignée que devraient apparaître les individus qui possèdent ces aptitudes communes à leur plus haut degré de concentration ? N’est-ce pas à la dernière distillation que s’obtient la meilleure liqueur ? Or repassez l’histoire de ces familles célèbres — celle de la famille Bach ou de la famille Bernouilli, par exemple — et vous verrez que les talents les plus éminents sont rarement aussi les derniers venus[1]. La preuve de l’accumulation escomptée continue donc à nous manquer ; et il reste plus naturel de supposer que les qualités innées du fils sont comme une épreuve nouvelle de celles que le père apportait lui-même en naissant, bien plutôt qu’une projection de celles qu’il a pu acquérir durant sa vie.

Qui peut au surplus discerner nettement, dans le talent d’un individu, l’apport de l’hérédité et l’apport de l’éducation ? la part de la race et la part du milieu ? ce qui jaillit des dons innés et ce qui découle des influences ambiantes ? Nous sommes ordinairement inclinés à faire honneur des vocations et des capacités aux dons naturels, plutôt qu’à l’éducation. C’est que nous entendons alors l’éducation au sens étroit et personnel plutôt qu’au sens large et social. Si l’action consciente et voulue du maître n’effleure souvent, en effet, que la surface de l’âme, l’action inconsciente et involontaire non seulement des hommes mais des choses la remue et la retourne dans ses profondeurs. Des chocs insensibles mais incessants sont capables de sculpter un être intérieur aussi bien qu’ils sculptent les choses extérieures. Ce sont peut-être aussi des « causes actuelles » qui donnent leur tour aux esprits comme elles donnent, nous dit-on, leur forme aux rochers. La permanence d’un certain dispositif

  1. Weismann, loc. cit., p. 147.