Aller au contenu

Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/104

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

sociétés une puissance d’élaboration de ce genre, il n’est nullement porté à leur attribuer une entéléchie spéciale, et il avertit que ce serait perdre son temps que de chercher le siège de l’âme collective. Au vrai, l’on s’égare lorsque l’on veut comparer, fonctions par fonctions, les sociétés à des organismes supérieurs dûment différenciés et centralisés. Elles se rapprocheraient plutôt du polypier que du corps humain[1]. Au surplus, pourquoi vouloir à toute force découvrir, dans la série des organismes, les modèles de nos groupements ? C’est encore se lancer sur une fausse piste que de répéter que la société imite la nature. En réalité corps vivants et corps sociaux sont soumis les uns et les autres à certaines lois d’organisation, plus générales que les lois étudiées par la biologie proprement dite, et qui s’imposent à tous les êtres formés d’éléments coordonnés en systèmes[2]. S’agit-il de comprendre comment cette organisation s’institue, Cournot n’est pas éloigné de penser — fidèle à sa doctrine qui veut que les phénomènes vitaux, intermédiaires entre la matière et l’esprit, soient aussi les plus obscurs — qu’une analyse de ce qui se passe dans les sociétés, nous faisant saisir des faits d’entraînement, d’imitation, d’analogie[3], nous éclairerait autrement qu’une analyse de ce qui se passe dans les organismes. Et ainsi il prépare l’argumentation qu’un Tarde, par exemple, dirigera contre les organicistes, en leur reprochant de vouloir expliquer le plus clair par le plus obscur.

Mais surtout ce qui distingue radicalement Cournot de nos organicistes, c’est qu’à ses yeux l’analogie bio-

  1. Matérialisme, 189 ; Considérations, II, 400.
  2. Traité, I, 350.
  3. Traité, II, 57-77, 179.