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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/111

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L’HISTOIRE ET LA SCIENCE SOCIALE

On peut donc penser que l’histoire proprement dite ne prend du champ que dans les phases intermédiaires, s’il est vrai qu’il n’y a d’intérêt spécialement historique que là où l’on voit se rencontrer, sur le théâtre des siècles, les grands personnages et la Fortune[1]. « Effectivement c’est entre les deux termes extrêmes du développement des sociétés que les hommes supérieurs en tout genre, conquérants, législateurs, missionnaires, artistes, savants, philosophes, exercent le plus d’ascendant sur leur siècle, et que les coups de la Fortune ont le plus de retentissement et de force ; parce que son pouvoir capricieux n’est pas contenu au même degré, ni par les instincts primitifs de la nature et par une nécessité que l’on pourrait nommer vitale ou organique, ni par une autre nécessité dont le principe est plus abstrait, mais dont la puissance n’est pas moindre, et que l’on pourrait nommer physique ou économique parce que c’est elle qui finalement détermine (en plus grande partie du moins) l’économie des sociétés, en réprimant les uns par les autres tous les instincts individuels. Donc, de même que les sociétés humaines ont subsisté avant de vivre de la vie de l’histoire, ainsi l’on conçoit qu’elles peuvent non pas précisément atteindre, mais tendre à un état où l’histoire se réduirait à une gazette officielle servant à enregistrer les règlements, les relevés statistiques, l’avènement des chefs d’État et la nomination des fonctionnaires, et cesserait par conséquent d’être une histoire selon le sens qu’on a coutume de donner à ce mot. » — « Nous sortons, ajoute Cournot, de la phase historique où les caprices du sort et

  1. Traité, II, 343.