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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/114

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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

au-dessus des variations individuelles, les tendances de l’intérêt collectif. Il n’en reste pas moins que pour découvrir ces tendances il a fallu faire abstraction d’un certain nombre d’occurrences perturbatrices. Le physicien déjà ne fait-il pas abstraction de la viscosité lorsqu’il veut étudier les lois de l’équilibre des liquides ? Le géomètre de son côté n’évite-t-il pas de mêler la physique à des théories qui sont du ressort des mathématiques pures ? Ainsi l’économiste fera légitimement abstraction des soubresauts de la politique pour traiter certaines questions d’un point de vue purement économique. Bien plus, pour établir les valeurs sur lesquelles il doit spéculer, il supposera réalisées certaines conditions idéales. Pour montrer, par exemple, comment le prix règle la consommation ou la demande, et la demande à son tour la production, il imaginera un marché parfait, une facilité d’échanges, une mobilité commerciale qui ne laissent subsister aucun frottement. C’est en ce sens que Cournot devait montrer que le laissez-faire, laissez-passer est bien une des conditions de l’idéal des économistes : entendons, de leur idéal théorique. En supposant abaissées toutes les barrières qui arrêtent la circulation des richesses, ils aperçoivent plus aisément les tendances propres de cette circulation. On se trompe si l’on considère le principe de la liberté économique (qui n’est, à le bien prendre, que le principe de la fatalité économique) comme un théorème établi scientifiquement. Ce qui reste vrai, c’est qu’il est un postulat nécessaire à l’établissement de la science économique[1].

  1. Principes de la théorie des richesses, 139 ; Revue sommaire des doctrines économiques, 52 ; Considérations, II, 95, 241.