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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/148

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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

semblait s’être fait sentir partout de construire, d’unifier, d’organiser. Le développement de cette tendance, secondé par l’élargissement de l’horizon limité auquel s’en tenait l’économie politique, nous fait comprendre comment l’attention devait être attirée sur les inconvénients de la division du travail.

Ce n’est plus seulement dans l’ordre économique, disions-nous, qu’on s’inquiète des formes et des effets de la division du travail ; c’est dans tous les ordres d’activité, c’est, en particulier, dans l’ordre intellectuel. Pas plus que la vie matérielle, la vie spirituelle, on s’en rend compte, ne progresse sans la spécialisation ; pas plus que l’industrie proprement dite, la science et l’art même n’échappent à cette loi.

Toutefois, dans ce domaine nouveau, cette loi est-elle toujours bienfaisante et ne suscite-t-elle que des progrès ? Pour l’art, il est trop évident qu’elle comporte des inconvénients graves, s’il est vrai qu’une véritable œuvre d’art est comme un tout vivant, sur laquelle une personnalité créatrice a mis sa marque. La spécialisation perfectionnera sans doute « le métier » et raffinera la technique de l’art ; mais il n’y a que trop de chances pour que ces avantages soient compensés par les mutilations que cette spécialisation même impose à l’artiste : sa virtuosité ne croîtra peut-être qu’aux dépens de son humanité. Mais, pour la science elle-même, œuvre évidemment plus impersonnelle, et à l’avancement de laquelle on peut véritablement « coopérer », croit-on que la spécialisation soit tout bénéfice ? Grâce à son entremise nos découvertes ont centuplé sans doute, et chaque jour elle entasse des connaissances plus précises et plus nombreuses. Mais le but de la science n’est pas d’accu-