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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/149

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LA DIVISION DU TRAVAIL

muler, c’est d’ordonner, et de faire des corps avec les vérités éparses. Or, le progrès de la « micrologie » ne nous fait-il pas, souvent, perdre de vue cet idéal ? et ne diminue-t-il pas notre capacité de le réaliser ? Les têtes encyclopédiques, à fortiori les têtes synthétiques se font le plus en plus rares. La science moderne risque de manquer d’architectes. Et cela serait fâcheux, non seulement pour le progrès de la philosophie générale qu’on devrait extraire des sciences, mais pour le progrès même de chacune d’elles ; en s’isolant, elles se stériliseraient. C’est sur des arguments de ce genre que le positivisme s’est fondé, pour dresser le procès de la division du travail. Et contre ces arguments, l’apologie des économistes ne saurait servir de bouclier. Car il ne s’agit plus ici de produire le plus possible dans le moins de temps : le point de vue réel et quantitatif n’est plus de mise. Les vérités ne sont pas des choses. Et l’important en matière de production intellectuelle est moins le nombre que l’ordre.

Cette absence d’ordre et d’organisation n’est-elle pas d’ailleurs, à y bien regarder, aussi préjudiciable en matière d’industrie qu’en matière de science ? Il est à remarquer en effet que le système de production vanté par les économistes, s’il installe à l’intérieur de ses entreprises, entre ouvriers qui se partagent le travail, des rapports strictement réglementés, laisse au contraire en dehors de toute réglementation les rapports de ces entreprises entre elles. En ce sens, les organes de coordination manquent à l’industrie moderne. Sous le coup de fouet de la concurrence, chaque entreprise lance sur le marché le plus de produits qu’elle peut, quitte à avilir les produits par la surproduction. Ainsi