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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/159

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LA DIVISION DU TRAVAIL

laissé dans l’ombre. On semblait croire que la coopération, reposant sur la différence des activités qu’elle concerte, et les réunissant pour un moment sur un point unique, n’était qu’un mode économique de groupement ; pour fonder un groupement éthique, où les individus se sentent moralement unis, la ressemblance seule, semblait-il, était nécessaire et suffisante.

En réalité la dissemblance aussi est principe d’union. Ce qui est vrai des amis différents de tempérament, ou de l’homme et de la femme dans le mariage est vrai aussi, dans l’ensemble de la société, des coopérateurs spécialisés. Par cela même qu’ils diffèrent ils se complètent, et le ressentent incessamment. La division du travail, en entremêlant leurs fins d’un bout à l’autre de leur vie, rappelle chaque jour à chacun d’eux qu’il ne suffit pas à lui-même ; elle l’habitue à se concerter avec les autres, à régler son activité en fonction de leur activité ; en un mot, à tout instant elle renouvelle dans son âme le sentiment qu’il est une partie d’un tout, et que son bien dépend de ce tout comme le bien de ce tout dépend de lui. Elle est donc moralisatrice. Et si l’on ne s’en est pas aperçu plus tôt, c’est qu’on se faisait des phénomènes de l’échange et du contrat, auxquels on liait la théorie de la division du travail, une idée trop étroite et trop sèche.

Il faut considérer les tenants et les aboutissants, et comme le rayonnement social de ces phénomènes économique et juridique : ce que chacun d’eux implique et ce qu’il produit. L’acte de l’échange n’est que l’expression momentanée et superficielle d’un état durable et profond, d’un état de « manque » qui suscite, dans l’âme de chacun des échangistes, tout un ensemble de