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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/160

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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

sentiments et d’images. Chacun se représente d’une manière constante ceux qui le complètent, et dont la vie est nécessaire à sa vie. Sa pensée se reporte naturellement non seulement aux produits mais aux producteurs. Ils prennent une place privilégiée dans sa vie mentale. Et ainsi, non par un pur calcul d’intérêts, mais par le jeu spontané des sentiments, chacun est porté à se sentir obligé envers ceux avec lesquels il coopère.

Ces obligations dépassent d’ailleurs de beaucoup, d’ordinaire, celles qui sont formulées dans les contrats par lesquels nous fixons les conditions de notre coopération. Il est très vrai que plus la spécialisation et avec elle la coopération se développe, et plus aussi nous réglons nos activités non pas uniquement mais principalement d’après des contrats. Mais on aurait tort de ne voir, dans l’acte du contrat, que deux volontés individuelles momentanément abouchées. Il faut apercevoir derrière elles la société préexistante, qui seule prête force impérative à leurs engagements qu’elle réglemente, et dont elle est capable d’annuler les uns tandis qu’elle sanctionne les autres. C’est elle encore qui, du contrat une fois signé par les coopérateurs, fait découler certains devoirs qu’elle leur impose, alors même qu’ils n’y auraient pas pensé, bien plus, alors même qu’ils auraient voulu s’y soustraire. Tous pouvoirs qui prouvent bien que lorsque nous contractons pour échanger les produits de nos activités différentes, nous sommes englobés dans un système de droits et de devoirs définis, antérieur et supérieur au contrat même. Qui dit coopération d’individus spécialisés dit donc soumission à une même réglementation sociale.

Il est donc avéré que la division du travail ne se dé-