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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/173

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LA DIVISION DU TRAVAIL

trouve voué à telle ou telle fonction moins en vertu de ses dispositions individuelles, que de sa situation sociale ? Ainsi la force des institutions, politiques ou économiques, prime les tendances de la nature.

L’exemple le plus typique s’en rencontre dans les sociétés conjugales. On s’attendrait ici à ce que la division du travail fût calquée sur les différences naturelles qui séparent les deux sexes. En fait, les besognes les plus fatigantes sont réservées souvent au sexe le plus faible. Le plus fort abuse de sa situation pour répartir ses travaux non suivant le vœu de sa nature, mais suivant ses propres intérêts. Mais qu’on ne croie pas que cette division du travail contrainte soit propre à la société conjugale. M. Gumplowicz va jusqu’à dire que jamais le travail ne s’est divisé librement. Suivant lui, tout État est composé de divers éléments ethniques ; mais c’est moins leurs dispositions naturelles que leur situation respective qui détermine leurs fonctions. Le groupe qui a le pouvoir se réserve certaines professions, et abandonne ou impose les autres aux groupes subordonnés. En un mot la division technique du travail est précédée et gouvernée par la différenciation politique.

D’ailleurs, là même où les inégalités politiques sont effacées, il faut se souvenir que les inégalités économiques jouent un rôle analogue et exercent indirectement la même pression. C’est ainsi que dans nos sociétés modernes, l’influence des dons naturels sur la répartition des tâches est singulièrement réduite. Il ne faut pas dire sans doute que ces dons ne guident le choix du métier que dans les phases les plus anciennes de la spécialisation : l’ouvrier moderne tient compte des