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Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/172

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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

nées soient à la hauteur des métiers inventés, que la diversité des aptitudes corresponde, en un mot, à la diversité des fonctions.

Smith ne croyait pas à la diversité originelle des aptitudes. Bien loin que les hommes soient portés à échanger parce qu’ils naissent différents, ils ne deviennent différents, suivant lui, que parce qu’ils sont portés à échanger. Mais le XIXe siècle, averti par la biologie, a ouvert les yeux sur l’essentielle hétérogénéité des êtres. Les espèces végétales et animales voient pulluler les variétés individuelles qui luttent pour se fixer. L’humanité n’échappe pas à cette loi. Non seulement ses membres sont différenciés par les milieux auxquels ils s’adaptent, et acquièrent des qualités différentes suivant qu’ils habitent le nord ou le sud, la montagne ou la plaine, le bord des fleuves ou les rivages de la mer ; mais les « idiosyncrasies » qu’ils apportent en naissant sont d’une extrême variété. C’est cette variété qui montre le chemin à la spécialisation. En ce sens, bien loin de nous apparaître comme une sorte de combinaison artificielle, résultant de l’entente des volontés qui cherchent leur intérêt, la division du travail doit nous apparaître comme fondée en nature ; elle est l’œuvre moins d’un calcul prémédité que d’une diversité spontanée.

Qu’on se garde, toutefois, d’exagérer la part de ces causes naturelles. Si nous cherchons à les suivre à travers l’histoire, nous voyons aussitôt leur action se mêler à l’action de causes d’ordre social ; et celle-ci, non seulement masquer, mais souvent neutraliser celle-là. Combien de fois, en effet, n’arrive-t-il pas qu’un être se