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MERLIN L’ENCHANTEUR

tout bas monseigneur Yvain de le soutenir.

— Sire, murmura-t-il, faites-moi étendre sur un lit : sitôt que j’aurai mangé et bu, cela passera.

Messire Gauvain l’avait entendu : aidé de monseigneur Yvain, il le porta sur une couche ; et là, Merlin lui fit prendre du vin chaud, de manière qu’il se remit bientôt et s’endormit. Car telle était la nature de Sagremor : lorsqu’il était à jeun, s’il s’échauffait un peu trop, il tombait en faiblesse dès qu’il se refroidissait ; mais cela ne lui arrivait pas souvent.

Cependant les chevaliers s’étaient mis à table, et ils causaient de l’accident. Keu le sénéchal, qui avait toujours la langue aiguisée à plaisanter et à mal dire, s’écria qu’on pouvait le surnommer Sagremor mort de jeûne. Messire Gauvain le regarda.

— Taisez-vous, Keu, s’écria-t-il, et ne dites point de folies d’un si prud’homme et bon chevalier. Il a sa maladie quand il plaît à Dieu et l’on ne doit pas l’en railler. S’il est venu servir monseigneur le roi, ce n’est point pauvreté, car il est né d’un empereur, mais hautesse de cœur. Le roi ne doit point souffrir qu’en son hôtel on se moque de Sagremor. Et quiconque le ferait, je le prendrais pour moi.

— Sire, dit Ken, on en raille souvent de plus vaillants que lui, et même on en dit d’assez grosses paroles. S’il s’en fâche, je n’en puis mais. Et qui qu’en grogne, je ne m’en soucie !