Page:Bouniol - Les rues de Paris, 3.djvu/130

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guerrière, ses ponts-levis, ses cavaliers et ses glacis immenses qui l’isolent et lui forment un si beau piédestal. Cette parure lui sied, je veux qu’il la conserve. »

Nous sommes pleinement de l’avis de M. Vitet.

Ce qui rend mémorable à toujours cet effort prodigieux du patriotisme, même non couronné par la victoire suprême, ce sont les épreuves que Paris, le Paris des fêtes et des plaisirs et des jouissances (trop, hélas ! mais noblement expiées) a dû subir et qui, chose singulière ! semblent avoir échappé aux prévisions des écrivains cités par nous. Faut-il parler de ces citadins habitués, routinés, si l’on me permet le mot, aux délices de Capoue et, du jour au lendemain, condamnés aux plus rudes exercices de la vie militaire, aux veilles de nuit sur le rempart par la pluie, le vent, la neige, le froid (et quel froid !), et plus tard à l’entrée en campagne par la saison la plus rigoureuse, quand le gel fait que le fusil vous brûle presque les mains ! Dirons-nous les privations en tout genre et pour beaucoup si pénibles ! Plus de lait, plus d’œufs, plus de légumes frais quand les autres vont s’épuisant tous les jours comme la viande de cheval, d’ânon, de mulet ; quand la volaille devient un mythe, les gourmets ayant peine même à prix d’or[1] à se procurer un chat maigre ou quelque rat d’égoût. Pouvons-nous oublier les pauvres femmes, souvent si déli-

  1. Quelques chiffres seulement. Un poulet ordinaire se vendait de 3 à 40 francs, un lapin idem ; une oie ou une dinde 90 et 100 francs, la livre de beurre 36 francs, un œuf 2 fr. 50 et 3 francs (etc.). Quand tant d’autres faisaient preuve d’un si généreux patriotisme, il faut bien reconnaître que Messieurs les marchands de comestibles songeaient surtout à faire leurs affaires en spéculant sur notre détresse !