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le mystérieux monsieur de l’aigle

qu’elle résolut de se retirer, pour le moment du moins, jusqu’à ce que sa peine fut calmée.

Il n’y avait personne sur la véranda ; tous étaient dans le salon. Magdalena s’assit sur un banc et se livra à une véritable crise de découragement et de larmes. Elle avait le cœur brisé, lui semblait-il… Bientôt, de longs sanglots s’échappèrent de sa poitrine…

— Théo, mon petit ami !

M. de L’Aigle ! Oh ! M. de L’Aigle !

— Théo, mon petit ami, dites-moi, pourquoi ces pleurs ? demanda Claude de L’Aigle, en s’asseyant auprès de la jeune fille. Allons ! Nous sommes amis n’est-ce pas, vous et moi ? Il faut me confier vos peines.

— Je… Je… ne sais pas… Je… Je suis fatigué, je crois, répondit-elle, éclatant, encore une fois en sanglots.

— Fatigué ?… Bien sûr que vous l’êtes ! Depuis huit heures, me dit-on, que vous jouez du piano, pour faire danser un tas d’imbéciles !… Que leur fait, à eux, que le petit musicien ait les doigts presque paralysés de fatigue, je vous le demande !

— Voyez-vous, M. de L’Aigle, dit-elle, ils vont me payer pour jouer du piano et…

— Ah ! oui, et ils sont gens à exiger qu’on leur en donne pour leur argent. Pauvre Théo ! Mais il ne faut pas pleurer, mon petit ami. Est-ce qu’on vous a servi des rafraîchissements ?

— Non. Mais je n’en veux pas… Je ne pourrais pas avaler une seule bouchée… Je… De nouveau elle fondit en larmes.

— Vous me faites beaucoup de peine quand vous pleurez ainsi, Théo ! Allons ! Attendez-moi ici ; je reviens dans quelques instants.

Il revint, au bout d’un certain temps, et Magdalena eut une exclamation de surprise en l’apercevant, car il portait, avec précautions, un plateau contenant tasses, soucoupes, assiettes, un petit service à thé en argent et divers plats couverts de serviettes bien blanches.

— Nous allons prendre le goûter ensemble, dit Claude, en déposant le plateau sur le banc à côté de la jeune fille.

— Je ne peux pas manger… Je ne peux pas, M. de L’Aigle !

— Même pour me tenir compagnie, mon petit ami ?… Voyez-vous, moi, je dois partir, tout à l’heure, et comme j’ai plusieurs milles à faire en voiture, puisque je me rends à la Rivière-du-Loup, j’aimerais à me réconforter un peu auparavant. Si vous refusez de manger cependant, Théo, je partirai sans manger, moi aussi.

— Mais, pourquoi, M. de L’Aigle ?

— Nous allons manger ensemble, ou bien… N’est-ce pas que ce sera agréable, seulement vous et moi, mon petit ami ?

— Nous ne serons pas seuls longtemps, je crois, M. de L’Aigle, répondit Magdalena en souriant à travers ses larmes. L’hôtelier leur dira, dans le salon, que vous êtes ici et on ne manquera pas de venir vous… enlever.

— Oh ! Non ! fit Claude, en riant d’un rire que Magdalena trouva très jeune. Un billet de banque, glissé adroitement dans la main du digne hôtelier, au moment où je lui enlevais ce plateau, lui fermera la bouche, soyez-en assuré.

Et voilà M. de L’Aigle, celui qui, sans s’en douter peut-être, en imposait tant au petit pêcheur et batelier, en frais de verser du café dans des tasses, d’étendre une serviette sur les genoux de son compagnon (?) ; de lui présenter tartines et gâteaux.

En un clin d’œil, les impressions de découragement et de tristesse qui avaient envahi l’âme de la jeune fille s’envolèrent à tire d’ailes, et bientôt, on eut pu l’entendre rire d’un bon cœur d’une saillie de Claude.

— Bon ! C’est mieux ainsi ! s’écria Claude, en entendant ce rire si frais. La vie est plutôt belle, en fin de compte, vous savez, Théo, et il vaut toujours mieux essayer de voir le bon côté des choses… S’il fallait se laisser abattre à la première épreuve, au premier chagrin…

— Des épreuves… du chagrin… Vous n’avez jamais dû en avoir, vous, M. de L’Aigle, fit Magdalena en souriant.

— Non ? Vous pensez ? répondit Claude, dont le visage se rembrunit soudain. Quelles visions passèrent devant ses yeux ?… Qui eut pu le dire ?… Chose certaine, c’est que, dans l’ombre, il se mordait les lèvres, et on eut pu le voir pâlir.

— Mais, non ! Quelles épreuves auriez-vous pu avoir, je vous le demande ?… Dans votre magnifique domaine L’Aire.

— Pauvre enfant, répondit-il, on ne parvient pas à mon âge, sans avoir souffert, vous devez le comprendre… D’abord, la vie solitaire que je mène…

— Mais ! C’est parce que vous le voulez ainsi ! s’écria-t-elle. Pourquoi menez-vous une vie solitaire, M. de L’Aigle ? reprit-elle. Tout le monde parait tant vous estimer, vous apprécier, vous aimer, et…

— Hein ? Tout le monde m’aime, dites-vous, Théo ? Ah ! En voilà une bonne ! Qu’est-ce qui vous fait dire cela, mon petit ami ?

— Lorsque vous êtes arrivé, dans le salon, ce soir, les dames et jeunes filles étaient si contentes de vous voir ! Même, on a interrompu le quadrille, pour vous souhaiter la bienvenue… Moi, je pense que si on ne vous aimait pas, on n’agirait pas ainsi, fit naïvement Magdalena.

Un sourire sceptique erra, un moment, sur les lèvres de Claude. Ce sourire, la jeune fille ne le vit pas ; sans doute, l’eut-elle vu, qu’elle n’en aurait pas compris la signification.

— Théo, mon petit ami, dit soudain Claude, désirant changer le sujet de la conversation, savez-vous, j’aurais un service à vous demander.

— Un service à me demander ? Vous, M. de L’Aigle ? À moi ?

— Oui… Seriez-vous disposé à me le rendre ?

— Bien sûr ! Si je le puis… Mais je ne vois pas ce que…

— Théo, voulez-vous répéter après moi : « Je promets de vous rendre le service demandé, si c’est possible ».

Magdalena répéta les paroles de Claude.

— Il s’agit du piano de L’Aiglon, dit-il. Tous les automnes, dès les premiers jours d’octobre, mon yacht est emballé, pour l’hiver, et le piano est transporté à L’Aire… Or, j’ai pensé que,