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le mystérieux monsieur de l’aigle

cette année, vous me permettriez de le faire transporter chez-vous plutôt…

Magdalena sourit finement.

— Ce service que vous désirez que je vous rende, cache, très imparfaitement, un acte de bonté de votre part, M. de L’Aigle, fit-elle. Vous savez parce que je vous l’ai dit, que nous n’avons pas de piano à La Hutte

— Eh ! bien, disons que nous nous rendons mutuellement service, dans cette affaire, mon petit ami, acquiesça Claude. Le piano de L’Aiglon ne m’est d’aucune utilité, à L’Aire, puisque je possède un piano de concert et que celui du yacht reste fermé. Ne serait-il pas préférable qu’il servit à quelqu’un ?… Si vous consentez, Théo, nous transporterons le piano chez-vous, dans les derniers jours de septembre.

« Nous transporterons », avait-il… Ainsi, il viendrait lui-même à La Hutte ?… Il surveillerait, en personne, le transport du piano ? Magdalena ne se sentit pas de force à rejeter une telle chance de le revoir. Elle accepta.

— Votre oncle ?… Il n’aura pas d’objections, n’est-ce pas ?

— Mon oncle fait tout ce que je lui demande de faire, M. de L’Aigle, répondit-elle ; il ne me contrarie jamais en rien.

M. Lassève est le modèle des oncles alors ! rit Claude. Maintenant, mon petit ami, il faut que je vous quitte.

— Déjà ! s’écria Magdalena.

— Je suis même un peu en retard. Mais, avant de partir, nous allons boire un verre de vin, à la santé l’un de l’autre, n’est-ce pas ?

Il versa du vin dans deux verres et en tendit un à la jeune fille.

— Au succès de toutes vos entreprises, Théo ! fit Claude, en levant son verre. À votre bonheur !

— Au succès de votre voyage et de vos entreprises, M. de L’Aigle ! répondit Magdalena, en imitant le geste de Claude.

Alors, il arriva une chose assez curieuse : Claude de L’Aigle devint blanc comme la mort, et le verre, qu’il allait porter à ses lèvres, s’échappa de ses doigts et tomba sur le plancher.

— Qu’y a-t-il ? s’écria la jeune fille, grandement effrayée et s’élançant vers son compagnon. M. de L’Aigle ! Vous êtes malade ?

Instinctivement, elle entourait de ses deux mains le bras de Claude, tandis que ses yeux, démesurément agrandis, se fixaient sur son visage.

— Ce… Ce n’est… rien, mon petit ami, parvint à articuler Claude, essayant de sourire. Une petite douleur au cœur… J’y suis sujet… Ce n’est rien, rien…

Sans proférer un mot, elle lui présenta son propre verre de vin.

— Buvez, je vous prie ! dit-elle.

Docile comme un enfant, il obéit, en souriant.

— Merci, Théo ! dit-il, en lui remettant le verre. Et maintenant, adieu !

— Vous vous sentez mieux ?

— Je me porte à merveille, grâce à vos bons soins… Au revoir ! À la fin de septembre, mon petit ami ! dit Claude, en tendant la main à la jeune fille.

— Oui… À la fin de septembre…

Il fit quelques pas dans la direction du corridor, puis il revint.

— Théo, dit-il, vous le savez, quoique nous soyons devenus amis jurés, vous et moi, il existe une grande différence d’âge entre nous ?

— Oui, je sais… Mais ça ne fait rien, répondit la naïve enfant.

Dans l’ombre, Claude sourit de sa naïveté ; mais il eut été difficile de définir la nature de ce sourire.

— Si je m’étais marié, à l’âge où d’autres se marient généralement, reprit Claude, j’aurais, probablement, aujourd’hui, un fils de votre âge, Théo, et si j’étais au moment de le quitter pour quelques semaines, je déposerais un baiser sur son front… Théo, laissez-moi vous donner, avant de partir, un baiser d’adieu !

Sans hésiter, et pleurant d’émotion, Magdalena leva sur Claude son pur visage ; et lui, révérencieusement, posa ses lèvres brûlantes sur le front de la jeune fille, puis il partit hâtivement, sans se retourner, même une seule fois…

Bientôt, Magdalena entendit le bruit d’une voiture quittant les abords de l’hôtel ; c’était Claude de L’Aigle qui partait… À celle qui l’aimait si éperdument, il ne restait que le souvenir du baiser qu’il lui avait donné.

VI

« THÉO, LE FLEURISTE »

Magdalena venait d’effacer d’un calendrier, que Séverin lui avait donné, la date du 11 septembre.

— Que les jours sont lents à passer ! murmura-t-elle. Encore dix-neuf jours, avant la fin de septembre ! Dix-neuf jours, avant de le revoir ! Viendra-t-il, ainsi qu’il l’a promis ?… Accompagnera-t-il ses domestiques, lorsqu’ils transporteront le piano de L’Aiglon ici ?… Ô ciel ! Que le temps va me paraître interminable, d’ici la fin du mois !

Elle était encore à l’âge heureux où le temps ne passe jamais assez vite. Il est vrai que, depuis le soir du bal, elle ne vivait que pour le moment où elle reverrait Claude de L’Aigle.

Il avait été question de Claude une fois, entre Magdalena et Zenon, le lendemain de leur retour du Portage.

— J’ai oublié de vous dire, mon oncle, que M. de L’Aigle était au bal, avant-hier soir.

— Oui ? Vraiment ? avait répondu Zenon. Alors, c’est Mlle Guérin qui a dû être contente !

— Pourquoi dites-vous cela, mon oncle ?

— Ne l’as-tu pas entendu dire, lorsqu’ils sont venus nous chercher ici, que M. de L’Aigle serait parfait, s’il se rendait plus souvent aux invitations qui lui étaient faites ?

— Ah ! oui, je me souviens… ils ont dansé ensemble, lui et elle…

— As-tu eu l’occasion de causer avec M. de L’Aigle, Théo ?

— Oui. Nous avons causé ensemble quelques instants.

Sans qu’elle en eût l’intention, elle induisait Zenon dans deux erreurs, par cette réponse