Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/50

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Ce fut Mme Liauran, qui, tout d’un coup et comme prolongeant sa rêverie, se prit à gémir :

— « Ce qui rend ma peine plus intolérable encore, c’est qu’il voit la blessure qu’il m’a faite au cœur, et que cela ne l’arrête pas, lui qui, toujours, depuis son enfance jusqu’à ces derniers six mois, ne pouvait pas rencontrer une ombre dans mes yeux, un pli sur mon front, sans que son visage s’altérât. Voilà ce qui me démontre la profondeur de sa passion pour cette femme… Quelle passion et quelle femme !… »

— « Ne t’exalte pas, » dit Mme Castel en se levant et s’agenouillant devant la chaise longue de sa fille. » Tu as la fièvre, » fit-elle en lui prenant la main. Puis, d’une voix abaissée et comme descendant au fond de sa conscience : « Hélas ! mon enfant, tu es jalouse de ton fils comme j’ai été jalouse de toi. J’ai mis tant de jours, je peux bien te le dire maintenant, à aimer ton mari… »

— « Ah ! ma mère, » reprit Mme Liauran, « ce n’est pas la même douleur. Je ne me dégradais pas en donnant une partie de mon cœur à l’homme que vous m’aviez permis de choisir, tandis que vous savez ce que notre cousin George nous a dit de cette Mme de Sauve, et de son éducation par cette mère indigne, et de sa réputation depuis qu’elle est mariée, et de ce mari qui tolère que sa