Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/163

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une forme bien étrange, car, en bon commerçant, le cavalier Francesco Renda, ou mieux don Ciccio, tirait finement parti de ce snobisme vestimentaire qui lui faisait promener sur les trottoirs de Palerme des redingotes commandées à Londres, un chapeau envoyé de Londres, des cravates cousues à Londres, et une rogue et rouge figure de gentleman retour des Indes, copiée pour la coupe de la barbe sur une caricature du Punch. Il servait à son hôtel de réclame vivante, et il apparaissait, portraituré à la plume et au crayon, dans d’innombrables livres de voyage, édités à Londres eux aussi, qui constituaient, dans la bibliothèque du salon de l’hôtel, ses véritables titres de gloire, sans compter que cette bienheureuse anglomanie lui permettait dans certains cas de substituer le bill à la note et de détailler les dépenses de ses voyageurs par shillings au lieu de francs. Avec le tennis en terre foulée à côté des palmiers, avec la coquette chapelle protestante d’architecture gothique profilée entre les bambous, avec la profusion des rocking-chairs et des journaux à huit pages entassés dans l’espèce de véranda qui achevait le salon en serre, le petit jardin semblait bien un campement anglo-saxon en pays d’Afrique. Ce matin-là Francis ne pensa pas à exercer son antipathie contre les singulières disparates de cette conception. Il marcha droit vers l’allée isolée près du tempietto, édicule colorié à colonnettes