Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/196

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— Le monstrueux, le triste courage ! — Car la paternité, une fois éveillée en nous, ne s’endort pas plus que la faim et la soif. Elle réclame son aliment, la présence d’abord et la contemplation à défaut de la caresse, le son de la voix à défaut des paroles tendres. Il n’avait jamais entendu parler de sa fille, depuis qu’il l’avait sentie telle. Cette pauvre joie, cette goutte d’eau dans son ardente fièvre, il n’avait pas le droit de se la permettre, s’il voulait demeurer dans la logique de son honnêteté absolue vis-à-vis de sa fiancée ; et, pendant des jours qui lui parurent bien longs, il ne se la permit pas. Ils passèrent pourtant, ces jours, et deux, et trois, et huit, et quinze, et vingt, comme le temps passe, alors que nous avons fait avec nous-même le pacte d’un de ces intimes sacrifices qui sont une amputation quotidienne d’un vivant morceau de notre cœur. Il semblait à Francis que chaque matin il lui fallait mettre de nouveau le fer à la place charcutée la veille. Voici comment il y parvenait et l’emploi de ses douloureuses journées : — il se levait, décidé à ne pas dévier d’une ligne hors de la voie qu’il s’était tracée. Vers les neuf heures, il passait, comme c’était son habitude depuis sa venue à Palerme, dans le salon en rotonde où sa douce fiancée l’attendait. Par les fenêtres se dessinait toujours le lumineux paysage d’un ciel couleur de turquoise et d’une mer couleur de saphir. Les blancs palais