Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/197

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alternaient avec de verts jardins, et les deux rades animées de voiles papillotaient dans l’ombre de la rouge montagne nue. C’était le décor qui avait servi de cadre à sa félicité et qui continuait de mettre un même fond d’horizon sublime au visage aimé de sa madone. Ainsi, dans les tableaux de piété, les maîtres anciens déploient derrière le sourire et les yeux de la Vierge les lointains démesurés d’un monde qu’elle ennoblit par sa seule existence. Cette comparaison, qu’il l’avait faite de fois dans ses matinées heureuses ! Il la faisait encore. Hélas ! Rien qu’à retrouver la jeune fille à cette première rencontre, il éprouvait combien est vrai le commun, le touchant pléonasme populaire : aimer de tout son cœur. Il n’aimait plus sa chère Henriette de tout son cœur, quoiqu’il l’aimât avec une passion que la souffrance avivait encore. Mais il gardait dans ce cœur une passion à côté de cette passion, une blessure ouverte, saignante, enflammée, et qu’il ne montrait pas. Cela suffisait pour que le ravissement d’autrefois lui fût impossible, impossible cette détente dans l’émotion heureuse qui fait que la présence adorée absorbe entièrement notre pouvoir de sentir. Non, ce pouvoir de jouir de son bonheur était, au contraire, sinon paralysé en lui, du moins comme diminué, presque endolori. Il avait comparé aussitôt son effort pour ne pas s’occuper d’Adèle à une mutilation, et il