Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/403

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Que de souvenirs l’assiégeaient dans ces minutes-là ! Il les regardait avec cette espèce de dédoublement que les vastes horizons de nature favorisent d’une façon si particulière. Il lui semblait presque assister en pensée aux actions d’un autre, tant il percevait avec une lucidité et une acuité surprenantes le long enchaînement logique de ses actions et de ses passions. En même temps il éprouvait devant le tableau ainsi déroulé de ses jours une sorte de sentiment nouveau pour lui et qui marque en effet chez tous les hommes le point précis où la vie tourne, où nous commençons vraiment de voir la descente fatale, notre jeunesse finie, la vieillesse si voisine, et l’autre rivage. Il se rendait compte qu’il avait vécu, qu’il avait eu son lot, bon ou mauvais, au jeu étrange de l’existence, qu’il en avait connu ce qu’elle peut donner d’émotions amères ou douces, et surtout qu’il avait amassé sur sa tête assez de responsabilités pour suffire à ce qui lui restait d’années. Combien encore ? Depuis les quelques mois qu’il aimait Henriette, il avait oublié, dans l’ivresse de son renouveau intérieur, les expériences passionnelles traversées autrefois. Son existence d’adultère et de libertin s’était évanouie pour laisser la place seulement au fiancé respectueux et ravi, à l’adorateur pieux d’une vierge pieuse. Il avait cru de bonne foi s’être désaltéré