Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/405

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de guide eussent réuni les deux femmes dans le même hôtel ; un hasard que la ressemblance de la petite Adèle avec sa sœur Julie fût effrayante jusqu’à l’hallucination. C’était un hasard que les soupçons d’Henriette eussent été provoqués et confirmés comme ils l’avaient été par la rencontre dans le jardin avec la petite fille, puis par cette conversation entre la comtesse et lui surprise d’une manière si foudroyante. Il ne pouvait cependant pas supposer que chacune des mailles de ce réseau de faits eût été nouée par une volonté supérieure en train de veiller à une distribution de douleurs qui n’était même pas équitable, puisque son innocente fiancée n’avait commis, elle, aucune faute. Il raisonnait de la sorte, puis il retrouvait en lui, aussi invincible et aussi intacte, cette impression que ce mot de hasard lui servait seulement à déguiser son ignorance des causes véritables et secrètes dont le jeu avait gouverné ce détour subit de son existence. Une fois écarté le point particulier qui concernait Henriette, n’était-il pas contraint de reconnaître qu’il n’avait, lui, rien subi que de mérité ? Que signifie le mot de hasard quand, parmi l’innombrable série des événements possibles, ceux-là seulement se produisent qui se produiraient si un juge souverain était chargé de les répartir ? Qu’avaient-ils fait, ces hasards successifs, sinon de mettre face à face son présent et son passé,