Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/415

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durant des années, des émotions, des joies, des chagrins dont j’ignorais tout. Il gardait en lui le souvenir d’actions dont je jugeais un honnête homme si incapable, qu’encore à l’heure présente, il me faut toutes les tristes évidences dont je suis accablée pour être certaine que c’est bien vrai, que je n’ai pas été le jouet d’un affreux rêve. Je ne le juge pas. Je ne le condamne pas. J’ai compris, par les réponses de ma mère, que la jeunesse de la plupart des hommes cache des secrets pareils. Je n’ai pas cru qu’il fût pareil à la plupart des hommes. J’étais si fière de lui, si fière de sa noblesse d’âme, si persuadée que j’aurais pu tout savoir de sa vie, dans le passé comme dans le présent, heure par heure, minute par minute, — tout en savoir et trouver toujours, dans chacune de ces révélations, un motif de l’aimer, de l’estimer, de l’admirer davantage. Ah ! J’avais lu dans des livres auxquels j’aurais dû croire qu’il ne faut attendre des affections terrestres que tristesse et désolation, j’avais lu qu’il est insensé de mettre dans un autre que le Sauveur sa confiance et sa joie. Au lieu de m’appliquer ce conseil, je vous remerciais, mon Dieu, chaque jour, d’avoir rencontré uniquement dans mon existence de cœur des êtres en qui je pouvais avoir cette confiance, de qui je n’aurais jamais que de la joie. Mon cher bon Dieu ! Si c’était un aveuglement d’orgueil, que j’en ai été punie ! J’ai vu mentir celui que j’aimais, je l’ai vu me mentir ! Je l’ai entendu confesser devant moi des actes dont