Page:Bourget - La Terre promise, Lemerre.djvu/416

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la honte me poursuit avec obsession. J’ai su qu’il me trahissait depuis des semaines sans avoir même cette générosité de l’aveu qui m’eût épargné l’horreur de cette découverte. Il feignait de vivre de notre simple et paisible vie, tandis qu’à côté et en silence il en vivait une autre. Chacun de ses sourires, chacune de ses paroles, chacun de ses regards pendant plus d’un mois fût une hypocrisie. Quand il n’y aurait rien que cela entre nous, que la mémoire de ce rôle qu’il a pu soutenir des jours et des jours, remettre ma main dans la sienne comme auparavant me serait impossible. Ce n’est pas de jalousie que je souffre, quoiqu’il soit trop cruel de penser que la même bouche a dit les mêmes phrases à une autre, qu’une autre a été aimée comme l’on s’est crue aimée, et que rien, rien ne saurait effacer cela. Ma peine la plus profonde n’est pas celle-là. Elle est de ne plus estimer celui que je n’ai pas cessé d’aimer.

« Si je me suis laissée aller à me plaindre de cette peine dans ces pages destinées à la personne qui l’a causée, ce n’est pas que je me révolte. J’ai accepté ma croix. C’est par la certitude que seule cette personne peut adoucir cette peine en se conduisant de manière que je pense à elle, sinon comme je pensais auparavant, du moins autrement que je ne pense aujourd’hui. Non, je ne me révolte pas contre ma souffrance, et je crois même que je la bénirais s’il doit en sortir un bien pour trois âmes, toutes trois en péril, celles de deux coupables et une autre qui est