Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/101

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jeunes gens qui sortent d’une fête se disent tout ce qu’ils en emportent dans le cœur. Peut-être alors, et rien qu’à prononcer le nom de madame Moraines, René aurait compris quelle place avait prise subitement dans sa pensée cette beauté fine et rare, en qui s’étaient comme incarnées et rendues palpables toutes ses chimères d’aristocratie. Peut-être aurait-il acquis par Claude quelques notions justes sur ce caractère et sur la différence qu’il y a entre une femme à la mode comme l’était madame Moraines et une vraie grande dame, et il se serait épargné la dangereuse fièvre d’imagination qui le fit se complaire, tout le long de sa route, dans le souvenir du visage et des moindres gestes de Suzanne. Il avait entendu la comtesse l’appeler de ce joli prénom, en l’embrassant à la minute de l’adieu, et il la revoyait dans son manteau doublé de fourrure blanche, si épais qu’il faisait paraître la gracieuse tête blonde presque trop petite. Il revoyait le mouvement que cette tête avait eu, la légère inclinaison de son côté avant de monter en voiture. Il la revoyait aussi à la table du souper, et le regard de ses beaux yeux attentifs, et la façon dont elle remuait ses lèvres pour lui dire de ces mots bien simples, mais dont chacun lui avait prouvé que celle-là du moins avait l’âme de sa beauté, de même qu’elle avait une beauté digne du cadre où