Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/15

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peine si deux pavés un peu inégaux marquent la place des barreaux sur lesquels jouaient les portes mobiles de la grille, que l’on poussait seulement chaque soir au lieu de les verrouiller. Le jeune homme n’eut donc pas à sonner pour se faire ouvrir, mais, avant de s’engager dans la mince ruelle, il s’arrêta quelques minutes devant le paysage que formaient cette impasse sombre, le jardin de droite, la ligne des maisons déjà presque toutes éteintes à gauche, au fond les masses confuses des bâtisses en construction, la lanterne ancienne au centre. Là-haut, une froide lune d’hiver brillait dans un ciel tragique, un ciel vaste, pommelé de nuages mobiles et qui couraient vite. Ils passaient, passaient devant cette lune claire, et voilaient à chaque fois légèrement son éclat de métal, comme rendu plus vif lorsque ces vapeurs mobiles se creusaient soudain en une portion d’espace toute libre et toute noire.

— « Quel décor pour un adieu, » dit à mi-voix le jeune homme, qui ajouta, en se parlant tout haut à lui-même :

 « Jusqu’à l’heure où l’on voit apparaître et rêver
Les yeux sinistres de la lune… »

S’il y avait eu sur ce trottoir un passant quelque peu observateur, il aurait reconnu un