Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/178

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aveugle dans le succès de la cause, qui demeurera pour l’histoire le trait original du parti impérialiste. Suzanne, elle, qui n’avait de foi d’aucune sorte, eut en revanche, dès cette année 1873, la vision très nette de la ruine où ils marchaient, où ils couraient, elle et son mari, en vivant, comme ils faisaient, sur leur capital. C’était précisément l’époque où Frédéric Desforges commençait à s’occuper d’elle assidûment. Cet homme, qui n’avait pas cinquante ans alors, était demeuré le représentant le plus brillant de la génération entrée dans le monde vers 1850, et qui eut pour chef de file le profond et séduisant Morny. Aux yeux de Suzanne, il gardait le prestige de sa légende d’élégance et des aventures que lui avait prêtées la chronique des salons. Il eut bien vite cet autre prestige d’une supériorité indiscutable dans la connaissance et le maniement de la société parisienne. Resté veuf et sans enfants après un court mariage, presque oisif, car son mandat de député ne l’intéressait que pour la forme, riche de plus de quatre cent mille francs de rente, sans compter son hôtel du Cours-la-Reine, sa terre en Anjou, et son chalet à Deauville, l’ancien favori du célèbre Duc avait le courage, si rare, de vieillir, — comme son protecteur avait eu celui de mourir. Il pensait à s’organiser une dernière liaison qui le conduisît vers la soixantaine