Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/191

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une parole à sa belle cliente. Le désir dont la jeune femme avait été mordue s’enfonçait davantage en elle, en même temps que la vision des obstacles matériels se dressait, plus nette, plus inévitable. Pour se faire aimer, il faut et du temps et des endroits où se rencontrer. René n’allait pas dans le monde, et s’il y était allé, c’eût été pire. D’autres femmes le lui auraient disputé. Ici, dans cet appartement de la rue Murillo, elle saurait si bien achever de se graver dans ce cœur tout neuf— et la surveillance de Desforges le lui interdisait ! Pour la première fois depuis des années, elle se sentit prisonnière, et elle eut un mouvement de colère contre celui à qui elle devait tout. Elle déjeuna, travaillée par ces idées, toute seule, comme elle déjeunait d’habitude, et très sobrement. Même avec l’aide généreuse de son protecteur, elle n’atteignait l’équilibre parfait de son budget qu’avec des économies sur ce qui ne se voit pas, comme la table. Elle eut, dans cette solitude, un moment si mélancolique, une si totale perception de son impuissance, qu’elle laissa tomber, en se levant, un mot découragé qu’elle ne prononçait guère : « À quoi bon ? »

Oui, à quoi bon ? Sa vie la tenait. Non seulement elle ne pouvait pas avoir René chez elle comme elle voulait, mais cette après-midi même, malgré le sentiment nouveau qui commençait