Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/220

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de la fête donnée chez la comtesse, elle avait bien compris, au récit du jeune homme, que madame Moraines était la seule de toutes les femmes rencontrées la veille à lui plaire véritablement, et elle avait deviné que c’était aussi la seule sur qui le poète eût produit une impression personnelle et vive. Les mères et les sœurs possèdent comme un sens particulier pour reconnaître ces nuances-là. Il ne lui avait pas fallu beaucoup d’efforts pour s’apercevoir des troubles de René, durant les jours suivants. Liée à lui par le double lien de la ressemblance morale et de l’affection, aucun sentiment ne pouvait traverser ce cœur fraternel sans qu’elle en éprouvât le contre-coup. Elle avait vu que René aimait, aussi clairement que si elle eût assisté, cachée, aux deux causeries de la rue Murillo. Et cet amour l’avait ravie sans qu’elle en fût jalouse, au lieu qu’elle avait été jalouse autrefois, autant qu’inquiète, de la liaison de son frère avec Rosalie. Avec la logique spéciale aux femmes, elle trouvait tout naturel que le poète eût un commencement d’intrigue avec une personne qui n’était pas libre. Elle admettait qu’aux hommes exceptionnels il faut une vie et une morale exceptionnelles, comme eux, et cet amour pour une grande dame, en même temps qu’il satisfaisait les rêves d’orgueil formés pour son idole, ne lui prendrait