Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/221

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jamais rien, elle le sentait. La passion pour Rosalie, au contraire, lui était apparue comme un vol fait à sa tendresse. C’est que Rosalie lui ressemblait, qu’elle était de son monde, que René, enfin, ne pouvait s’attacher à elle que pour l’épouser et se faire une nouvelle vie de famille. Elle avait donc eu un accès de joie silencieuse à constater l’amour naissant de son frère. Et elle aurait bien voulu que de nouvelles confidences vinssent aussitôt compléter les premières, celles qu’il lui avait faites à son réveil, quelques heures seulement après la soirée de madame Komof. Ces confidences n’étaient pas venues, et elle ne les avait pas provoquées. Sa tendre finesse pressentait que l’ouverture du cœur de René n’en serait que plus complète, spontanée. Elle attendait donc, épiant au fond de ces yeux, dont elle connaissait si bien chaque regard, les signes de cette joie exaltée qui est comme la fièvre du bonheur. Elle se taisait d’autant plus qu’elle ne voyait guère René qu’en présence de Fresneau. Avec la lâcheté trop naturelle dans certaines situations fausses, le poète s’en allait de la maison, aussitôt levé, pour n’y rentrer qu’à l’heure du déjeuner. Il s’échappait de nouveau jusqu’au dîner et il sortait encore après afin d’éviter toute rencontre avec Rosalie. Le professeur, lui, ne remarquait même pas ce changement d’habitudes, tant sa distraction