Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/289

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un autre, guignant sa lettre, qu’elle saisit avec délice, quand Desforges se fut enfin décidé à partir. « C’est un excellent ami, » se dit-elle, « mais quelle corvée ! … » Quinze jours de passion avaient suffi pour qu’elle en vînt à ce degré d’ingratitude, et elle se reposait de son impatience de tout à l’heure en absorbant, phrase par phrase, mot par mot, la lettre folle du jeune homme. C’était, cette fois, une supplication ardente, un appel fait à toutes les tendresses de la femme. Il ne lui parlait plus d’amitié. La feinte mélancolie de la voiture avait porté. « Puisque vous m’aimez, » lui disait-il, « ayez pitié de vous, si vous n’avez pas pitié de moi… » Ce qui aurait paru à Suzanne, de la part de tout autre, une intolérable fatuité, cette confiance absolue dans son sentiment à elle, la toucha profondément. Elle sut y voir, et cela y était vraiment, une adoration si complète qu’elle n’admettait pas l’ombre d’un doute. Il eût été si naturel que René l’accusât d’avoir joué avec lui au jeu cruel de la coquetterie ! Qu’une telle hypothèse était loin de la pensée du jeune homme ! « Pauvre enfant, » se dit-elle, « comme il m’aime ! » Et songeant à Desforges par comparaison, elle ajouta tout haut : « C’est le plus sûr moyen de n’être pas trompé ! » Elle reprit la lettre. L’accent en était si touchant, elle