Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/290

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y respira un tel parfum de douleur sincère ; d’autre part, ce petit salon, avec son intime clarté de six heures, lui rappelait avec tant de précision le souvenir du poète et de sa première visite, qu’elle se demanda si l’épreuve n’avait pas été suffisante.— « Non, » conclut-elle, « pas encore… » Cette folle lettre, en effet, ne comportait qu’une réponse : dire à René de revenir chez elle, et c’était chez lui qu’elle voulait le revoir, dans ce petit intérieur qu’il lui avait décrit. Elle y arriverait, éperdue, sous le prétexte de l’arracher au suicide. Ce prétexte, la troisième lettre le lui fournirait assurément, et elle décida de l’attendre, avec quelle jouissance anticipée de ce revoir ! Dans le bouleversement d’idées que produirait chez René sa soudaine et inattendue présence, il n’y aurait place pour aucune réflexion. Tous ces préliminaires de la chute si impossibles, si odieux à discuter avec un homme inexpérimenté comme lui, seraient supprimés. Il y avait bien la présence, dans le même appartement, du reste de sa famille. Suzanne n’eût pas été la femme dépravée qu’elle restait, même dans cette crise de passion véritable, si ce détail n’avait pas ajouté à son projet le charme du fruit deux fois défendu. Oui, elle attendait cette troisième lettre, avec une cuisante ardeur. Ses heures s’écoulaient rapides. Elle dînait en ville,