Page:Bourget - Mensonges, 1887.djvu/292

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amour, aussi délicates sur certains points qu’elles sont abominablement perverses sur d’autres.

— « Pourvu qu’il n’ait pas eu l’idée de voyager ! … » Telle fut la pensée qui lui vint à l’esprit, quand elle eut enfin cette troisième lettre tant désirée, et qui n’était qu’un long et déchirant adieu, — sans un reproche. Elle trembla que René n’eût eu recours au procédé conseillé par Napoléon, qui a dit avec son impérial bon sens : « En amour, la seule victoire est la fuite. » En se conduisant comme elle avait fait, elle avait joué son va-tout. Allait-elle gagner ? Ce qu’elle avait prévu se produisait avec une exactitude qui la ravit et l’épouvanta tout ensemble. Cette troisième lettre exprimait un si navrant désespoir qu’avec toute son expérience, la subtile comédienne se sentit prise, à une seconde lecture, d’une nouvelle crainte, plus terrible que l’autre, celle que René eût réellement attenté à sa vie. Elle eut beau se raisonner, se démontrer que si le poète avait dû partir, la lettre eût mentionné cette résolution ; s’affirmer qu’un beau jeune homme de vingt-cinq ans ne se tue point, à cause du silence d’une femme dont il se croit aimé, — elle était réellement la proie d’une angoisse extraordinaire, lorsqu’elle arriva, vers deux heures de l’après-midi, à l’entrée de la rue Coëtlogon. Elle avait reçu la lettre, le matin